Saturday, April 26, 2025

M.-J. Lagrange on the Abraham and the Justification of the Impious in Romans 4

  

Quant a l'impie justifie dont l'exemple nous a aidés a comprendre le cas d'Abraham, l'objet de sa foi est précisément Dieu qui justifie limpie έπi τόν δικαιούντα τόν άσεβη. Les termes n'autorisent aucune échappatoire. On ne peut pas dire qu'il croit à celui qui lui par- donne, car duxaiów à l'actif ne peut signifier que deux choses : décla- rer juste ou rendre juste. Que Dieu le déclare juste, c'est-à-dire affirme ce qui n'est pas dans l'ordre moral, c'est une proposition blasphématoire. Si au moins on disait que Dieu le déclare juste, non plus en lui-même, mais parce qu'il le voit comme couvert par la justice de Jésus-Christ, on pourrait s'expliquer. Mais où est-il question dans ces textes de la justice de Jésus-Christ imputée? Il faut donc com- prendre que Dieu a le pouvoir de rendre juste celui qui ne l'est pas, ce qui est fort simple, surtout si l'on songe à la formule qui pré- cede de peu: είς το είναι αύτον δίκάιον καί δικαιούντα τόν έκ πίστεως Ίησού (Rom. III, 26). Une fois la formule de la Genese bien comprise, elle -peut nous etre appliquee, a nous οις μέλλει λογίζεσθαι «auxquels doit être faite une semblable mise à notre avoir », non pas au jugement dernier, mais lorsque nous faisons l'acte de foi décisif, de même que l'acte de foi d'Abraham a été enregistré de son vivant.

 

Mais par ailleurs Paul ne dit pas que ce fut le premier et qu'a ce mo- ment Abraham passa du péché à la justice. L'éloge qu'il fait de la foi d'Abraham suppose bien plutót que le patriarche était déjà alors le modèle des justes. Et en effet l'argument de doctrine vise beau- coup moins le fait relaté par le texte, que le texte lui-même. On voit la différence. Dans le premier sens : la justice fut conférée alors à Abraham en retour de la foi. Dans notre sens : que dit l'Écriture d'Abraham ? Quand elle parle de l'approbation donnee' par Dieu à sa justice, elle fait entendre clairement que cette justice était gratuite; c'est tout ce qui importe pour montrer qu'Abraham rentre dans l'or dre de la grâce développé dans le christianisme.

 

Quant à l'impie, il est parlé très clairement de sa première justification, mais comment pourrait-on l'identifier à Abraham?

 

Son cas est plus clair que celui d'Abraham et sert a expliquer la formule employee par la Genese, mais ce n'est pas une raison pour assimiler les deux cas en tout. Ce point est si délicat que je vais essayer de l'expliquer en d'autres termes.

 

II ne parait pas possible de traduire ή πίστις ελογίσθη είς δικαιοσύνην: La foi a été si agréable à Dieu qu'il a donné en retour la justice. Nous devons nous contenter de montrer que Paul n'a pas pensé à une justice extérieure. En s'arrêtant à cette pensée, il eût contredit l'Ancien Testament de front au lieu de l'amener à ses vues. Ce qui lui suffisait, c'était de montrer que la justice de l'A. T. était une justice venant de la foi, que ce qui comptait devant Dieu, c'était la foi et non les œuvres. Il semble que le texte de Gen. xv, 6 suffirait pour cela, puisque ce qui plut à Dieu dans Abraham, ce qui le détermina à compter et à inscrire justice, ce fut sa foi.

 

Mais de plus Paul tient à montrer que dans ce compte la foi seule entrait en ligne, et non les œuvres, ce qui supposait au fond une faveur de Dieu. Il le prouve par une comparaison qui n'est pas une allégorie, c'est-à-dire dans laquelle le salaire ne représente pas la justice. La parabole procède ainsi : celui qui travaille après un con- trat, a droit à un salaire; mais celui qui ne travaille pas? si on porte un salaire à son compte, comme s'il avait travaillé, ce ne peut etre que par faveur. Que dit-on d'Abraham? on a porté à son compte la justice, seulement parce qu'il a cru, sans parler d'œuvres ... Dieu lui a donc fait une faveur ... De même l'impie : Dieu lui a compté la justice sans les œuvres; faveur, quand bien même il aurait eu la foi, ce qui est bien le moins. Maintenant cette faveur se traduit-elle par le don de la justice ou parce que Dieu en dispense, c'est ce que ces textes ne disent pas, mais qui est clair par toute la doctrine de saint Paul. Et mème, à propos de l'impie, il est dit clairement, mais par manière de parenthèse, que Dieu rend juste celui qui était impie.

 

Pas plus que Cornely et Prat nous ne voyons ici l'imputation d'une justice extérieure, qui n'y est certainement pas, et cela suffit à rejeter l'objection; mais nous ne jugeons pas non plus que le don de la justice, a cause de la foi, soit contenu vi verborum dans l'expression ή πίστις έλογίσθη είς δικαιοσύνην.

 

D'ailleurs, l'interprétation que nous avons proposée n'est pas nouvelle. Sans parler des Pères qui ont parlé du texte relatif à Abraham d'une façon vague, et peut-être seulement d'après la Genèse, voici ce que dit saint Jérôme dans son commentaire sur l'épitre aux Galates (III, 6) : Recte tali reputatur fides ad iustitiam, qui Legis opera supergressus, Deum non metu sed dilectione promeruit. On voit que la foi d'Abraham est censée animée par la charité; il n'est donc point question de donner la justice en retour de la foi. Saint Chrysostome est encore plus explicite. Il insiste sur la parfaite justice d'Abraham, et distingue admirablement les deux cas proposés par saint Paul : que celui qui n'a rien fait de bon soit justifié par la foi, cela n'est pas tellement admirable, mais que cet homme grand par ses actes ne soit juste que par la foi, voilà l'éloge suprême de la foi (sur Rom. IV, 3). Les disciples ont suivi, comme on peut le voir par exemple dans Euthymius.

 

C'est à cause de ces autorités et pour couper court à toute justice imputée, qu'Estius a cru que Paul parlait d'une justification progressive d'Abraham et non de sa première justilication. Je n'irai pas jusque- là. Je dis seulement que dans son argumentation Paul fait abstraction de toute application historique précise, comme serait la première justification, sauf que l'éloge donné par l'Écriture est antérieur à la circoncision. Il s'occupe moins de ce qui s'est passé dans l'åme d'Abraham à un moment donné que d'un texte que peut-être on lui avait opposé et dont il tire parti sans nier son sens propre; la constatation de la justice d'Abraham devient la constatation de la justice sans les œuvres.

 

La question, encore une fois, n'est pas de savoir comment, ni pourquoi, ni même si la justice a été donnée à Abraham; mais seule- ment de savoir si la constatation de l'Écriture porte sur une justice propre ou sur une justice qui ne procede pas des œuvres, mais de la foi.

 

S'il semble, au premier abord, que cette exégèse est moins favorable à la thèse catholique, puisqu'elle ne trouve pas explicitement dans le texte le don de la justice, peut-être est-elle plus solide, puisqu'il est vraiment bien difficile d'expliquer le texte dans ce sens; et, comme celle d'Estius, elle est beaucoup plus radicalement opposée à la justice imputée, puisqu'il n'y a pas proprement d'imputation.

 

A défaut d'imputation, faut-il voir dans le ch. IV la preuve que la justification est un acte forensique? Ce serait encore une méprise.

 

Il y a bien la une sorte de constatation divine. Mais Dieu qui constate ne prononce pas un jugement, surtout definitif. L'idee est bien plutot d'une inscription sur le grand-livre d'après lequel le jugement final sera rendu. Ce concept est bien connu. On le trouve sous une forme assez semblable dans le livre des Jubilés à propos de l'action de Siméon et de Lévi à Sichem. Cette action « leur fut (comptée) pour justice, et cela est, consigne en leur faveur par ecrit pour justice ... ». Et spécialement de Lévi : « Ainsi on écrivit comme un témoignage en sa faveur sur les tables divines, bénédiction et justice devant Dieu » (1).

 

Il n'y a pas là de jugement qui donne entrée aux biens messianiques ou autres. Spécialement dans le cas d'Abraham ce serait un contresens. (M.-J. Lagrange, “La Justification D’Après Saint Paul (fin)Revue Biblique 11, no. 4 [November 1914 ]: 500-3)

 

English Translation :

 

As for the ungodly who is justified—whose example has helped us to understand Abraham’s case—the object of his faith is precisely God who justifies the ungodly ἐπὶ τὸν δικαιούντα τὸν ἀσεβῆ. The terms permit no loophole. One cannot say that he believes in the One who pardons him, for δικαιόω in the active can only mean two things: “to declare just” or “to make just.” To say that God declares him just—that is, to affirm what does not exist in the moral order—is a blasphemous proposition. If at least one were to say that God declares him just, not intrinsically, but because He sees him as covered by the righteousness of Jesus Christ, one could make sense of it. But where in these texts is there any mention of the imputed righteousness of Jesus Christ? We must therefore understand that God has the power to make just one who is not, which is perfectly simple—especially if one considers the closely preceding formula: εἰς τὸ εἶναι αὐτὸν δίκαιον καὶ δικαιούντα τὸν ἐκ πίστεως Ἰησοῦ (Rom. III.26). Once that formula in Genesis is well understood, it can be applied to us οἷς μέλλει λογίζεσθαι—“to whom a like reckoning is to be applied,” not at the final judgment, but when we perform the decisive act of faith, just as Abraham’s act of faith was recorded during his lifetime.

 

But elsewhere Paul does not say that this was the first time Abraham passed from sin to righteousness. The praise he lavishes on Abraham’s faith rather implies that the patriarch was already then the model of the righteous. Indeed, his doctrinal argument concerns far less the narrated event than the text itself. You see the difference. In the first sense: righteousness was conferred on Abraham then in return for his faith. In our sense: what does Scripture say about Abraham? When it speaks of the approval given by God to his righteousness, it clearly implies that this righteousness was gratuitous; that is all that matters to show that Abraham is included in the order of grace developed in Christianity.

 

As for the ungodly, we read very clearly of his first justification; but how could one identify him with Abraham? His case is clearer than Abraham’s and serves to explain the formula used by Genesis, but that is no reason to assimilate the two cases in every respect. This point is so delicate that I shall try to explain it in other terms.

 

It does not seem possible to translate ἡ πίστις ἐλογίσθη εἰς δικαιοσύνην as “Faith was so pleasing to God that He gave, in return, righteousness.” We must be content to show that Paul did not think of an external righteousness. To stop at that thought would have put him in open contradiction with the Old Testament, instead of bringing it to his views. What sufficed him was to show that the righteousness of the O.T. was a righteousness that came from faith, that what counted before God was faith and not works. It would seem that the text of Gen. xv.6 would suffice for that purpose, since what pleased God in Abraham, what determined Him to count and to register righteousness, was his faith.

 

Moreover, Paul insists on showing that in that reckoning faith alone entered into account, and not works—which implied, at bottom, a favor on God’s part. He proves it by a comparison that is not an allegory, that is to say, in which wages do not represent righteousness. The parable runs thus: the one who works under a contract is entitled to a wage; but the one who does not work—if a wage is credited to his account as if he had worked, it can only be by favor. What do we say about Abraham? Righteousness was credited to his account solely because he believed, without mention of works… God therefore showed him favor… Likewise with the ungodly: God credited righteousness to him without works; favor, even if he had faith, which is the least of things. Now, does that favor consist in the gift of righteousness or in God’s dispensing it? These texts do not say, but the whole of Saint Paul’s doctrine makes it clear. And indeed, with regard to the ungodly, it is said quite explicitly, almost as a parenthesis, that God makes just the one who was ungodly.

 

Just as neither Cornely nor Prat do we see here the imputation of an external righteousness—which certainly is not here—and that suffices to dismiss the objection; but we do not think either that the gift of righteousness on account of faith is contained viva verbis in the expression ἡ πίστις ἐλογίσθη εἰς δικαιοσύνην.

 

Besides, the interpretation we have proposed is not new. Apart from the Fathers who spoke of the Abraham text in a vague way, perhaps merely following Genesis, here is what Saint Jerome says in his commentary on the Epistle to the Galatians (III.6):

 

Recte tali reputatur fides ad iustitiam, qui Legis opera supergressus, Deum non metu sed dilectione promeruit.


You see that Abraham’s faith is said to be animated by charity; there is therefore no question of giving righteousness in return for faith. Saint Chrysostom is even more explicit. He insists on Abraham’s perfect righteousness and admirably distinguishes the two cases proposed by Saint Paul: that one who has done no good should be justified by faith is not so remarkable; but that this man, great in his deeds, should be just only by faith—that is the supreme praise of faith (on Rom. IV.3). The disciples followed suit, as one sees for example in Euthymius.

 

It is on account of these authorities and to cut short any notion of imputed righteousness that Estius believed Paul spoke of a progressive justification of Abraham rather than of his first justification. I will not go so far. I say only that in his argument Paul abstracts from any precise historical application, such as would be the first justification, except that the praise given by Scripture is prior to circumcision. He is less concerned with what happened in Abraham’s soul at a given moment than with a text that perhaps had been opposed to him and from which he draws profit without denying its proper sense; the affirmation of Abraham’s righteousness becomes the affirmation of righteousness apart from works.

 

The question, again, is not how, nor why, nor even if righteousness was given to Abraham; but only whether Scripture’s assertion concerns an inherent righteousness or a righteousness that does not proceed from works but from faith.

 

If at first glance this exegesis seems less favorable to the Catholic thesis—since it does not find explicitly in the text the gift of righteousness—perhaps it is firmer, for it is indeed quite difficult to explain the text in that sense; and, like Estius’s, it is far more radically opposed to imputed righteousness, since there is no proper imputation.

 

In the absence of imputation, must one see in chapter IV proof that justification is a forensic act? That too would be a misunderstanding. There is indeed a kind of divine affirmation. But God who affirms does not pronounce a judgment, especially a definitive one. The idea is rather of an inscription in the great book according to which the final judgment will be rendered. This concept is well known. One finds it in a similar form in the Book of Jubilees regarding the action of Simeon and Levi at Shechem. Their action “…was counted for righteousness, and it is recorded in their favor in writing for justice…” And especially of Levi: “…Thus it was written as testimony in his favor on the divine tablets, blessing and justice before God.”

 

There is no judgment here that admits one to messianic goods or anything else. Especially in Abraham’s case, that would be a misunderstanding.

 

 

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