Quant a l'impie justifie dont
l'exemple nous a aidés a comprendre le cas d'Abraham, l'objet de sa foi est
précisément Dieu qui justifie limpie έπi τόν δικαιούντα τόν άσεβη. Les termes
n'autorisent aucune échappatoire. On ne peut pas dire qu'il croit à celui qui
lui par- donne, car duxaiów à l'actif ne peut signifier que deux choses :
décla- rer juste ou rendre juste. Que Dieu le déclare juste, c'est-à-dire
affirme ce qui n'est pas dans l'ordre moral, c'est une proposition blasphématoire.
Si au moins on disait que Dieu le déclare juste, non plus en lui-même, mais
parce qu'il le voit comme couvert par la justice de Jésus-Christ, on pourrait
s'expliquer. Mais où est-il question dans ces textes de la justice de
Jésus-Christ imputée? Il faut donc com- prendre que Dieu a le pouvoir de rendre
juste celui qui ne l'est pas, ce qui est fort simple, surtout si l'on songe à
la formule qui pré- cede de peu: είς το είναι αύτον δίκάιον καί δικαιούντα τόν
έκ πίστεως Ίησού (Rom. III, 26). Une fois la formule de la Genese bien
comprise, elle -peut nous etre appliquee, a nous οις μέλλει λογίζεσθαι
«auxquels doit être faite une semblable mise à notre avoir », non pas au
jugement dernier, mais lorsque nous faisons l'acte de foi décisif, de même que
l'acte de foi d'Abraham a été enregistré de son vivant.
Mais par ailleurs Paul ne dit pas
que ce fut le premier et qu'a ce mo- ment Abraham passa du péché à la justice.
L'éloge qu'il fait de la foi d'Abraham suppose bien plutót que le patriarche
était déjà alors le modèle des justes. Et en effet l'argument de doctrine vise
beau- coup moins le fait relaté par le texte, que le texte lui-même. On voit la
différence. Dans le premier sens : la justice fut conférée alors à Abraham en
retour de la foi. Dans notre sens : que dit l'Écriture d'Abraham ? Quand elle
parle de l'approbation donnee' par Dieu à sa justice, elle fait entendre
clairement que cette justice était gratuite; c'est tout ce qui importe pour
montrer qu'Abraham rentre dans l'or dre de la grâce développé dans le
christianisme.
Quant à l'impie, il est parlé
très clairement de sa première justification, mais comment pourrait-on
l'identifier à Abraham?
Son cas est plus clair que celui
d'Abraham et sert a expliquer la formule employee par la Genese, mais ce n'est
pas une raison pour assimiler les deux cas en tout. Ce point est si délicat que
je vais essayer de l'expliquer en d'autres termes.
II ne parait pas possible de
traduire ή πίστις ελογίσθη είς δικαιοσύνην: La foi a été si agréable à Dieu
qu'il a donné en retour la justice. Nous devons nous contenter de montrer que
Paul n'a pas pensé à une justice extérieure. En s'arrêtant à cette pensée, il
eût contredit l'Ancien Testament de front au lieu de l'amener à ses vues. Ce
qui lui suffisait, c'était de montrer que la justice de l'A. T. était une
justice venant de la foi, que ce qui comptait devant Dieu, c'était la foi et
non les œuvres. Il semble que le texte de Gen. xv, 6 suffirait pour cela,
puisque ce qui plut à Dieu dans Abraham, ce qui le détermina à compter et à
inscrire justice, ce fut sa foi.
Mais de plus Paul tient à montrer
que dans ce compte la foi seule entrait en ligne, et non les œuvres, ce qui
supposait au fond une faveur de Dieu. Il le prouve par une comparaison qui
n'est pas une allégorie, c'est-à-dire dans laquelle le salaire ne représente
pas la justice. La parabole procède ainsi : celui qui travaille après un con-
trat, a droit à un salaire; mais celui qui ne travaille pas? si on porte un
salaire à son compte, comme s'il avait travaillé, ce ne peut etre que par
faveur. Que dit-on d'Abraham? on a porté à son compte la justice, seulement
parce qu'il a cru, sans parler d'œuvres ... Dieu lui a donc fait une faveur ...
De même l'impie : Dieu lui a compté la justice sans les œuvres; faveur, quand
bien même il aurait eu la foi, ce qui est bien le moins. Maintenant cette
faveur se traduit-elle par le don de la justice ou parce que Dieu en dispense,
c'est ce que ces textes ne disent pas, mais qui est clair par toute la doctrine
de saint Paul. Et mème, à propos de l'impie, il est dit clairement, mais par
manière de parenthèse, que Dieu rend juste celui qui était impie.
Pas plus que Cornely et Prat nous
ne voyons ici l'imputation d'une justice extérieure, qui n'y est certainement
pas, et cela suffit à rejeter l'objection; mais nous ne jugeons pas non plus
que le don de la justice, a cause de la foi, soit contenu vi verborum
dans l'expression ή πίστις έλογίσθη είς δικαιοσύνην.
D'ailleurs, l'interprétation que
nous avons proposée n'est pas nouvelle. Sans parler des Pères qui ont parlé du
texte relatif à Abraham d'une façon vague, et peut-être seulement d'après la
Genèse, voici ce que dit saint Jérôme dans son commentaire sur l'épitre aux
Galates (III, 6) : Recte tali reputatur fides ad iustitiam, qui Legis opera
supergressus, Deum non metu sed dilectione promeruit. On voit que la foi
d'Abraham est censée animée par la charité; il n'est donc point question de
donner la justice en retour de la foi. Saint Chrysostome est encore plus
explicite. Il insiste sur la parfaite justice d'Abraham, et distingue
admirablement les deux cas proposés par saint Paul : que celui qui n'a rien
fait de bon soit justifié par la foi, cela n'est pas tellement admirable, mais
que cet homme grand par ses actes ne soit juste que par la foi, voilà l'éloge
suprême de la foi (sur Rom. IV, 3). Les disciples ont suivi, comme on peut le
voir par exemple dans Euthymius.
C'est à cause de ces autorités et
pour couper court à toute justice imputée, qu'Estius a cru que Paul parlait
d'une justification progressive d'Abraham et non de sa première justilication.
Je n'irai pas jusque- là. Je dis seulement que dans son argumentation Paul fait
abstraction de toute application historique précise, comme serait la première
justification, sauf que l'éloge donné par l'Écriture est antérieur à la
circoncision. Il s'occupe moins de ce qui s'est passé dans l'åme d'Abraham à un
moment donné que d'un texte que peut-être on lui avait opposé et dont il tire
parti sans nier son sens propre; la constatation de la justice d'Abraham
devient la constatation de la justice sans les œuvres.
La question, encore une fois,
n'est pas de savoir comment, ni pourquoi, ni même si la justice a été donnée à
Abraham; mais seule- ment de savoir si la constatation de l'Écriture porte sur
une justice propre ou sur une justice qui ne procede pas des œuvres, mais de la
foi.
S'il semble, au premier abord,
que cette exégèse est moins favorable à la thèse catholique, puisqu'elle ne
trouve pas explicitement dans le texte le don de la justice, peut-être est-elle
plus solide, puisqu'il est vraiment bien difficile d'expliquer le texte dans ce
sens; et, comme celle d'Estius, elle est beaucoup plus radicalement opposée à
la justice imputée, puisqu'il n'y a pas proprement d'imputation.
A défaut d'imputation, faut-il
voir dans le ch. IV la preuve que la justification est un acte forensique? Ce
serait encore une méprise.
Il y a bien la une sorte de
constatation divine. Mais Dieu qui constate ne prononce pas un jugement,
surtout definitif. L'idee est bien plutot d'une inscription sur le grand-livre
d'après lequel le jugement final sera rendu. Ce concept est bien connu. On le
trouve sous une forme assez semblable dans le livre des Jubilés à propos de
l'action de Siméon et de Lévi à Sichem. Cette action « leur fut (comptée) pour
justice, et cela est, consigne en leur faveur par ecrit pour justice ... ». Et
spécialement de Lévi : « Ainsi on écrivit comme un témoignage en sa faveur sur
les tables divines, bénédiction et justice devant Dieu » (1).
Il n'y a pas là de jugement qui
donne entrée aux biens messianiques ou autres. Spécialement dans le cas
d'Abraham ce serait un contresens. (M.-J. Lagrange, “La Justification D’Après Saint
Paul (fin)” Revue Biblique 11, no. 4 [November 1914 ]: 500-3)
English Translation :
As for the ungodly who is justified—whose example has
helped us to understand Abraham’s case—the object of his faith is precisely God
who justifies the ungodly ἐπὶ τὸν δικαιούντα τὸν ἀσεβῆ. The terms permit no
loophole. One cannot say that he believes in the One who pardons him, for
δικαιόω in the active can only mean two things: “to declare just” or “to make
just.” To say that God declares him just—that is, to affirm what does not exist
in the moral order—is a blasphemous proposition. If at least one were to say
that God declares him just, not intrinsically, but because He sees him as
covered by the righteousness of Jesus Christ, one could make sense of it. But
where in these texts is there any mention of the imputed righteousness of Jesus
Christ? We must therefore understand that God has the power to make just one
who is not, which is perfectly simple—especially if one considers the closely
preceding formula: εἰς τὸ εἶναι αὐτὸν δίκαιον καὶ δικαιούντα τὸν ἐκ πίστεως Ἰησοῦ
(Rom. III.26). Once that formula in Genesis is well understood, it can be
applied to us οἷς μέλλει λογίζεσθαι—“to whom a like reckoning is to be
applied,” not at the final judgment, but when we perform the decisive act of
faith, just as Abraham’s act of faith was recorded during his lifetime.
But elsewhere Paul does not say that this was the first
time Abraham passed from sin to righteousness. The praise he lavishes on
Abraham’s faith rather implies that the patriarch was already then the model of
the righteous. Indeed, his doctrinal argument concerns far less the narrated
event than the text itself. You see the difference. In the first sense:
righteousness was conferred on Abraham then in return for his faith. In our
sense: what does Scripture say about Abraham? When it speaks of the approval given
by God to his righteousness, it clearly implies that this righteousness was
gratuitous; that is all that matters to show that Abraham is included in the
order of grace developed in Christianity.
As for the ungodly, we read very clearly of his first
justification; but how could one identify him with Abraham? His case is clearer
than Abraham’s and serves to explain the formula used by Genesis, but that is
no reason to assimilate the two cases in every respect. This point is so
delicate that I shall try to explain it in other terms.
It does not seem possible to translate ἡ πίστις ἐλογίσθη
εἰς δικαιοσύνην as “Faith was so pleasing to God that He gave, in return,
righteousness.” We must be content to show that Paul did not think of an
external righteousness. To stop at that thought would have put him in open
contradiction with the Old Testament, instead of bringing it to his views. What
sufficed him was to show that the righteousness of the O.T. was a righteousness
that came from faith, that what counted before God was faith and not works. It
would seem that the text of Gen. xv.6 would suffice for that purpose, since
what pleased God in Abraham, what determined Him to count and to register
righteousness, was his faith.
Moreover, Paul insists on showing that in that
reckoning faith alone entered into account, and not works—which implied, at
bottom, a favor on God’s part. He proves it by a comparison that is not an
allegory, that is to say, in which wages do not represent righteousness. The
parable runs thus: the one who works under a contract is entitled to a wage;
but the one who does not work—if a wage is credited to his account as if he had
worked, it can only be by favor. What do we say about Abraham? Righteousness
was credited to his account solely because he believed, without mention of
works… God therefore showed him favor… Likewise with the ungodly: God credited
righteousness to him without works; favor, even if he had faith, which is the
least of things. Now, does that favor consist in the gift of righteousness or
in God’s dispensing it? These texts do not say, but the whole of Saint Paul’s
doctrine makes it clear. And indeed, with regard to the ungodly, it is said
quite explicitly, almost as a parenthesis, that God makes just the one who was
ungodly.
Just as neither Cornely nor Prat do we see here the
imputation of an external righteousness—which certainly is not here—and that
suffices to dismiss the objection; but we do not think either that the gift of
righteousness on account of faith is contained viva verbis in the expression ἡ
πίστις ἐλογίσθη εἰς δικαιοσύνην.
Besides, the interpretation we have proposed is not
new. Apart from the Fathers who spoke of the Abraham text in a vague way,
perhaps merely following Genesis, here is what Saint Jerome says in his
commentary on the Epistle to the Galatians (III.6):
Recte tali reputatur fides ad iustitiam, qui Legis
opera supergressus, Deum non metu sed dilectione promeruit.
You see that Abraham’s faith is said to be animated by charity; there is
therefore no question of giving righteousness in return for faith. Saint
Chrysostom is even more explicit. He insists on Abraham’s perfect righteousness
and admirably distinguishes the two cases proposed by Saint Paul: that one who
has done no good should be justified by faith is not so remarkable; but that
this man, great in his deeds, should be just only by faith—that is the supreme
praise of faith (on Rom. IV.3). The disciples followed suit, as one sees for
example in Euthymius.
It is on account of these authorities and to cut short
any notion of imputed righteousness that Estius believed Paul spoke of a
progressive justification of Abraham rather than of his first justification. I
will not go so far. I say only that in his argument Paul abstracts from any
precise historical application, such as would be the first justification,
except that the praise given by Scripture is prior to circumcision. He is less
concerned with what happened in Abraham’s soul at a given moment than with a
text that perhaps had been opposed to him and from which he draws profit
without denying its proper sense; the affirmation of Abraham’s righteousness
becomes the affirmation of righteousness apart from works.
The question, again, is not how, nor why, nor even if
righteousness was given to Abraham; but only whether Scripture’s assertion
concerns an inherent righteousness or a righteousness that does not proceed
from works but from faith.
If at first glance this exegesis seems less favorable
to the Catholic thesis—since it does not find explicitly in the text the gift
of righteousness—perhaps it is firmer, for it is indeed quite difficult to
explain the text in that sense; and, like Estius’s, it is far more radically
opposed to imputed righteousness, since there is no proper imputation.
In the absence of imputation, must one see in chapter
IV proof that justification is a forensic act? That too would be a
misunderstanding. There is indeed a kind of divine affirmation. But God who
affirms does not pronounce a judgment, especially a definitive one. The idea is
rather of an inscription in the great book according to which the final
judgment will be rendered. This concept is well known. One finds it in a
similar form in the Book of Jubilees regarding the action of Simeon and Levi at
Shechem. Their action “…was counted for righteousness, and it is recorded in
their favor in writing for justice…” And especially of Levi: “…Thus it was
written as testimony in his favor on the divine tablets, blessing and justice
before God.”
There is no judgment here that admits one to messianic
goods or anything else. Especially in Abraham’s case, that would be a
misunderstanding.
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